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Volontaires à Constantine
15 février 2013

Liberté ou sécurité

Fin janvier, nous sommes allés à la découverte du « sud ». Ici le sud, c'est le sud du nord, ou le nord du Sahara. Le sud de l’Algérie, c'est le « grand sud » !

Nous sommes donc passés à El Oued, Toughourt, Ouargla et Ghardaia : des villes oasis au milieu du désert.

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A Ghardaia, nous avons découvert le Mzab qui accueille depuis près d'un millénaire des tribus berbères convertis à l'islam ibadite (de la branche dissidente Kharijite, nés au début de l'aire islamique, qui n’appartient ni au Sunnisme, ni au Chiisme). Les ibadites ne reconnaissent pas d'autorité sur tous les musulmans et ont un sens aigu de l'égalité entre tous les croyants. Représentant une infime minorité dans l'Islam, ils ont longtemps été persécutés.

L'ibadisme fut un temps la religion d'une principauté s'étendant sur une bonne partie de l’Algérie. Chassés par les Fatimides, les tribus berbères ibadites se sont réfugiées dans un lieu reculé au milieu du désert. Au fil des siècles, reclus au sein de leurs 7 cités de la vallée du Mzab (dont ils tirent leur nom actuel), les mozabites ont précieusement gardé leur tradition en évitant de se mélanger aux autres.

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Pendant la visite d'un ksar (c’est à dire la vieille ville, qu'on ne peut visiter qu'avec un accompagnateur mozabite), notre guide, portant tranquillement sa djellaba et sa soixantaine grisonnante, nous initie au fonctionnement de sa communauté et de l’architecture (qui a inspiré Le Corbusier), dans un français impeccable. L'égalité est la base de l’organisation car « nous sommes tous égaux devant Dieu ». Dans la palmeraie, lieu de l'agriculture dont dépend chaque ksar, un système ingénieux d'irrigation permet de conserver et de répartir l'eau (la plus précieuse des ressources) entre chacun, de façon égale, quelque soit son statut social ou sa richesse. Dans le ksar toutes les maisons ont la même superficie. De l'extérieur, rien ne peut différencier la maison d'un riche de celle d'un pauvre. Petit exemple significatif, les jeunes couples bénéficient pendant une semaine, le temps de la fête, de la même chambre richement ornée de parures prêtées par toute la communauté, quelque soit leur condition sociale.

Brahim, ami mozabite de Roland, et qui se fait un devoir de nous faire découvrir sa ville, prend le relai et essaye de nous expliquer l'importance de sauvegarder les traditions, et l’homogénéité de la communauté. Il nous apprend par exemple qu’il n'y a pas de chômage chez eux (incroyable, quand on connait le taux d’inactivité des jeunes en Algérie), et que la police à l'intérieur du ksar est assurée par les hommes. Une fois marié, chacun doit assurer son tour de garde une fois par semaine « Il n'y a pas d'insécurité, aucun risque dans les ksars de Ghardaia ». Quand il y a un conflit entre deux personnes, le chef de famille rend justice. Si cela dépasse ses compétences, ils vont voir les chefs de clans (chacun à son bureau de réclamation sur la place du village). Si aucune solution n'est trouvée à leur niveau, les plaignants sont orientés vers le conseil de la ville, composé d'une petite dizaine de sages (désignés comme les immortels de l'Académie française). Et pour les affaires encore supérieure, un conseil regroupant les chefs des 7 cités peut trancher. Un bel exemple de subsidiarité.

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A première vue, tout cela fait rêver ! Quelle solidarité, quelle sécurité pour chacun (tant au niveau physique que social), comme le dit Brahim : « Vous ne pouvez pas vous imaginer quel sentiment agréable c’est de grandir dans cette ville où on se sent totalement en sécurité, tout est réglé. La vie est simple pour nous ». Mais nos hôtes religieux, sur place depuis des années, nous rappellent l'envers du décor. Chacun doit se plier aux traditions sous peine de se voir exclure de la communauté. Les femmes sont cantonnées à la maison et ne peuvent sortir que sous un voile blanc qui ne laisse qu’une seule ouverture pour un œil. Aucun échange entre sexe en dehors du couple (un homme ne peut se trouver dans la même pièce que sa belle sœur).

Quand on demande à Brahim (26 ans) où il a rencontré sa femme, il nous répond « ‘rencontrer ‘? Ca c’est occidental, nous on ne « rencontre » pas notre femme ! Quand j’ai voulu me marier, j’ai demandé à ma mère de me trouver une femme selon les critères physiques et moraux que je lui ai indiqués ».

Pour les très pacifiques mozabites, les conflits ne sont plus rares avec les arabes de plus en plus nombreux dans la région (surtout depuis les années noires, pendant lesquelles la région préservée a attiré pas mal de monde). En passe de devenir minoritaires, ils protègent encore plus jalousement leurs traditions.

Pourtant, on retrouve des Mozabites dans toute l’Algérie, voir dans le monde entier car ils sont de très habiles commerçants. Bien souvent, l’homme voyage et la femme reste au Mzab pour conserver les traditions et élever les enfants.

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Devant l’évolution de la société algérienne, certains (surtout des filles) ont du mal à rester dans le moule. Cette découverte de la société mozabite, nous rappelle la problématique « liberté et sécurité » et nos vieux cours sur la révolution industrielle. En Occident aussi, nous sommes passés d’une société où les rapports sociaux étaient très encadrés, peu libres (choix du métier, mariage, lieu de vie, etc), mais avec une forte solidarité (passant par les corps de métiers, les ordres religieux, la famille), à une société où les trajectoires sont plus libres, mais où la solidarité s’étatise (et à du mal à prendre en compte tout le monde). Plus de liberté, d’individualité, donc, mais moins de sécurité. Les deux seraient-ils vraiment inconciliables ...?

Une interrogation qui semble se faire de plus en plus forte de part le monde. A ceux notamment, des pays du « printemps arabe », qui se demandent si leurs anciens dictateurs ne les protégeaient pas mieux des terroristes (en oubliant souvent que les islamistes sont nés sous les dictatures, avant d’être instrumentalisés et nourris par le pouvoir pour justifier leur maintien auprès des pays occidentaux). A nous aussi français venant d’un pays où la liberté est un acquis sanctuarisé, mais où la crise vient remettre en cause bon nombre de nos sécurités.

 

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